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Chef Aby | Africain.info | vendredi 7 février 2020
Les Camerounais se rendront aux urnes dimanche prochain, pour élire les conseillers municipaux des 3600 municipalités que compte le pays, en même temps que l’élection des 180 députés à l’Assemblée nationale. La campagne électorale bat de l’aile, et l’analyste politique Dieudonné Essomba, croit que c’est « à cause de l’imposture du régime en place ». Dieudonné Essomba est un Statisticien, Ingénieur Principal Hors Classe, en service au Ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire du Cameroun, où il est chargé d’études assistant. Diplômé du Centre Européen de Formation des Statisticiens pour les Pays en Voie de Développement (CESD) à Paris, il est le promoteur d’une nouvelle approche d’analyse économique dont la « Monnaie Binaire » et le « Simulateur économique CAMERTOR » sont les applications. Dans l’entretien ci-dessous que D. Essomba nous a accordé, il donne des clés pour comprendre la situation, à un jour de la fin de la campagne électorale. Lisez plutôt !
Dans trois jours les Camerounais iront voter leurs conseillers municipaux et députés, quelle analyse faites vous de la campagne électorale qui s’achève ce vendredi 7 février à minuit ?
Dieudonné ESSOMBA : Une fois de plus, une fois de trop, le Cameroun est entrain de rater une occasion. Peut-être la dernière. Lorsqu’on voit la campagne électorale actuelle, on est étonné de son caractère terne, et en réalité, cette campagne est la plus terne, la plus molle et la plus inintéressante depuis la démocratie instaurée dans les années 1990.
Quelles sont selon vous, les causes de ce manquement ?
D.E : On peut trouver la première cause dans l’absence d’enjeu électoral du point de vue partisan. D’office, les élections sont pliées au regard de la grosse hégémonie du parti au pouvoir, puisque dans la meilleure des hypothèses, l’opposition ne pourrait s’en sortir tout au plus qu’avec le tiers des députés et des mairies. Ce n’est pas avec de telles situations qu’on suscite des passions.
On peut aussi y voir l’effet du boycott du MRC (NDLR : parti du Pr Maurice Kamto, le principal opposant au régime de Yaoundé), mais l’extension de ce parti est bien trop marginale pour avoir un tel effet, sa position ayant été par ailleurs suscité d’importantes controverses parmi ses propres militants et sympathisants.
On peut enfin y lire une certaine dépression liée aux troubles dans les zones anglophones qui créent une sorte de glace sur le plan national, ce qui est vrai en partie, et ce d’autant plus que les Sécessionnistes multiplient les violences pour empêcher la tenue des élections au NOSO (ndlr : Nord-Ouest et Sud-Ouest, régions anglophones en conflit). Cette ambiance ne rassure pas sur l’utilité de ces élections à ramener la paix, ce qui leur limite leur attractivité.
Néanmoins, c’est un phénomène de second ordre dans les autres régions du pays qui sont prioritairement mues par des enjeux locaux.
Comment expliquez-vous cella ?
D.E : La vraie raison est que les politiciens n’ont pas compris le rôle fondamental de ces élections qui se présentent comme l’occasion de réaliser une véritable transition dans l’évolution du pays. Ils ne semblent pas avoir compris que la décentralisation ouvre une nouvelle ère et une nouvelle gouvernance de l’Etat qui devrait, si elle était menée avec sincérité, rebooster le Cameroun.
Est-ce à dire que les populations ne cernent pas bien l’importance d’une élection de proximité ?
D.E : Pourtant, les élections municipales sont dans une large mesure, l’antichambre des élections régionales, puisque l’essentiel du corps électoral des autorités des Régions est justement constitué de ces Conseillers municipaux. La campagne des municipales auraient dû s’appuyer entre autres, su la perception que les candidats ont de la Région, les articulations qui devraient se tisser entre les Communes et les Régions, au regard des attributions des unes et des autres. Ceci est d’autant plus important que les autorités régionales étant élus de manière indirecte, c’est justement à travers les élections des Conseillers municipaux que le peuple élit ces autorités régionales.
Quant aux députés, ils auraient dû mettre l’accent sur la manière dont eux-mêmes perçoivent la décentralisation et les engagements qu’ils doivent aller prendre à l’Assemblée pour en assurer le bon déroulement, notamment après la honte que nous a infligé notre Parlement de ne jamais aborder le problème anglophone alors que des Parlement étrangers en parlaient et prenaient des résolutions.
On a relevé dans cette campagne qu’il y a très peu de débats de fond. Une explication ?
D.E : C’est le même blabla : le RDPC (ndlr : le parti au pouvoir) recense ses maigres réalisations en citant en permanence son champion Biya, et son opposition ne fait que dénoncer ses impérities et ses prédations, en espérant secrètement le remplacer.
Il y a certes l’amateurisme et le snobisme qu’on reconnait à nos politiciens dont la majorité n’a aucun fond politique, mais il y a aussi l’impréparation et la surprise. En effet, il faut noter que le Code de la décentralisation les a surpris, puisqu’il a été adopté après le dépôt des candidatures dont les modes de pensée relevaient des anciens schèmes de l’Etat centralisé pyramidal. Un grand nombre de politiciens au Cameroun, notamment du RDPC ont toujours assimilé la Décentralisation à une petite concession qu’on fait notamment aux Anglophones, et qu’on adopte juste pour gagner du temps, en sachant qu’on va y revenir le moment venu.
Pourquoi calla selon vous ?
D.E : Ils n’y ont jamais cru. Nous en avons d’ailleurs une brillante illustration avec les différents Délégués du Gouvernement : sur les 14 que nous comptons au Cameroun, il n’y a pas deux qui ont été assez prudents pour se présenter comme candidat aux municipales et se donner la chance d’être reconduit à leur poste, sous la nouvelle forme de Maire de la ville.
C’est que dans leur mentalité, le régime unitaire ultra-centralisé allait continuer comme auparavant à les conserver dans leur poste. Revêtus de la haute onction du Chef de l’Etat qui les met au-dessus des suffrages populaires, ils pouvaient alors jouer de leur pouvoir pour orienter les élections dans les Communes sous leur contrôle et faire élire qui ils veulent.
Les gars n’ont jamais imaginé que quelque chose pouvait changer au Cameroun, et que Biya, malgré son entêtement sur lequel ils accrochaient leurs espérances, pouvait parfaitement céder. Et voilà : pressé par les Sécessionnistes armés, harcelé par la Communauté Internationale, Biya a fini par se délester de son pouvoir de nomination des super-maires. Et du jour au lendemain, les voilà tous sevrés de leur juteux strapontin ! Ils doivent bien maudire le Chef de l’Etat, évidemment en cachette et dans la noirceur de leur cœur, car ils ne peuvent rien faire d’autre que de grincer les dents !
Mais plus fondamentalement, à quoi vont servir ces élections ?
D.E : Elles avaient pour objectif de donner un caractère populaire à la décentralisation qui jusqu’aujourd’hui, a toujours été traitée de manière élitiste. Il s’agissait d’amener le thème auprès du peuple camerounais, de l’expliquer, d’en débattre en profondeur, de manière à ce qu’il en saisisse la portée révolutionnaire et y adhère. Malheureusement, on se retrouve avec les mêmes tares : des bagarres entre les réseaux, et ce discours à la langue de bois : « le Président Biya a fait ceci !... le Président Biya a fait cela ci !... »
Que doit-ont attendre alors ?
D.E : Nous ne sommes pas sortis de l’auberge. Les Camerounais iront donc voter, mais pas en masse, puisque justement ils savent que rien ne sera réglé. Et ce ne sera pas du fait du mot d’ordre de Maurice Kamto et son parti le MRC, mais à cause de l’immensité de l’imposture du régime.
Interview réalisé par
FRANÇOIS ABY