De toute évidence, à l’instar de la Chine ou de Hong-Kong, les pays où la culture épidémique est ancrée gardent leur sang froid à l’ère du Covid-19. Le monde entre-t-il pour autant dans une nouvelle temporalité marquée par l’irruption d’un nouveau leadership ? Certainement que le basculement de l’épicentre de la pandémie entraîne également celui du monde tel qu’il est configuré jusqu’à maintenant.
La Chine avance-t-elle « masquée » ?
La centralité de l’Occident dans son ensemble souffre de nombreux maux à l’arrivée de la pandémie du XXIe siècle. Paralysé par une communication peu transparente et souvent dévolue aux contrées peu ou anti-démocratiques, il s’est montré incapable de valoriser les alertes épidémiologiques de ses propres laboratoires. L’Occident est voué à l’arithmétique des masques comme dans une quelconque épicerie. Ici, il faut appréhender le masque comme un objet générique autour duquel gravitent d’autres types d’outillage. Une telle pénurie, mettant en lumière de nombreuses lacunes, était simplement impensable. Que l’Italie, la France, l’Espagne tremblent, qu’une mégapole de renommée mondiale comme New York voit ses hôpitaux traîner des cadavres en les amoncelant dans des remorques frigorifiques, des corps enterrés dans des fosses communes, etc. Tout ce tableau digne des peintures apocalyptiques paraît invraisemblable, surréaliste.
Si la thèse de l’éboulement de l’Occident semble exagérée, celle d’un nouvel essor ou d’une résurgence de l’ogre chinois pulvérise toutes sortes de tabous. L’opinion générale tend à en considérer l’évidence tant la Chine, depuis l’irruption du Covid-19, a (malgré elle ?) pris les commandes du monde. Cette puissance rythme la cadence de ce dernier en patronnant la coordination internationale ; même si d’un autre côté on peut citer Cuba et la Russie dont les soutiens appuyés à certains pays, y compris européens, n’est pas une invention. Les frontières qui leur semblaient peu ou prou fermées sont maintenant « transgressées ». Toujours est-il, un objet - certainement parmi tant d’autres - d’une banalité déconcertante est au cœur de ce vaste chamboulement : le masque. De mémoire d’homme, le besoin de cette étoffe spécifiquement élaborée est inégalé. Le dépassement de sa gadgétisation correspond à l’ampleur de la pandémie a franchi tous les rubicons possibles de notre globe terrestre.
Fonction révolutionnaire du masque ?
La riposte s’organise alors que la Chine a une avance considérable sur les autres contrées de la planète. C’est sans doute ce que le philosophe Herbert Marcuse nommait les « conditions objectives » qui peuvent transformer la faiblesse (in Actuels, trad. fr. Galilée, Paris, 1976, p. 52.). En Afrique et dans de nombreux pays du monde, la créativité tente de combler le manque criard de l’objet insolite devenu essentiel. La lassante attente de son arrivée d’une part, l’impossibilité de son acquisition par les moins nantis de l’autre, rythment inconsciemment la cadence géopolitique. Des lieux de fabrique de fortune surgissent dans de nombreuses galeries et chaumières. Les masques apparaissent de toutes parts sans que leur homologation ne soit véritablement soldée. Mais ce triomphe de la débrouillardise montre à l’envi le profond désir de se prendre en charge, de retenir la vie par tous les moyens. La Chine s’impose auprès des États qui attendent de son aide, celle qu’elle semble distiller à sa guise. Son trafic aérien international a pris la pleine mesure de la réalité. En Afrique, la méfiance à l’égard de la bienfaisance occidentale grandit. Même si les moyens logistiques et médicaux sont en dessous de la moyenne, l’on entre dans un monde nouveau. De l’usage controversé de la chloroquine aux rumeurs incessantes des campagnes de vaccination anti-Covid-19 envisagées depuis des laboratoires et des lieux de décision européens, l’on assiste à une contestation qui laisse apparaître la gestation d’un nouveau leadership africain décomplexé.
Du trouble au cœur de l’Occident
On peut s’interroger en toute légitimité sur le futur du monde en matière géopolitique : l’Union européenne, par exemple, est la théâtralisation des jeux de cache-cache, des subtilisations parfois éhontées au sommet des Etats. Comment expliquer que les colis chinois dont on a longtemps, dans leur acception générale, moqué la durabilité et l’efficacité à travers l’histoire, deviennent des sésames dignes de détournement ? Quid des conteneurs destinés à la Suisse bloqués par la douane allemande, la Tchéquie ne serait pas seule à procéder de la sorte à l’intérieur de l’Europe. Ce qui se trame à l’ère de la mobilisation et de la répartition des masques dénote soit d’une fausse fraternisation difficilement avouable entre ces nations regroupées pour un destin commun, soit un égocentrisme de non retour qu’on a vite voulu gommer, soit enfin une concurrence à l’allure hégémonique tacitement élaborée. Difficile cependant de consolider un discours de mépris des uns à l’égard des autres malgré les cris stridents venant d’Italie notamment, à son plus haut niveau de la crise du Coronavirus.
L’Italie restera certainement membre de l’Union Européenne, mais sous quelle conditionnalité ? L’Europe s’effriterait-elle de l’intérieur à l’orée de ce siècle ? Toutes ces questions semblent pour l’instant inopportunes même si l’incohérence européenne n’est plus un secret. Ce qui compte, c’est l’acquisition de l’outillage nécessaire pour stopper et rayer possiblement la pandémie. Mais l’Europe occidentale, particulièrement, ne saurait minimiser l’impact de sa politique économique des dernières années. Au gré de son ultra-capitalisme, elle a externalisé ses industries en Chine pour se retrouver quasiment exsangue face à la pandémie dont les outils de contrôles sont entre les mains des autres. En même temps, on aurait tort de limiter l’expansion économique et culturelle de la Chine à la seule délocalisation occidentale. Ce pays, malgré ses propres tares internes, montre qu’elle est une civilisation dont l’exemplarité historique ne saurait s’émousser si facilement. Au contraire.
Vers des situations vraisemblablement inévitables ?
Autant le souligner, les excuses diplomatiques ne solderont pas définitivement ce climat de suspicion nauséabond indirectement rythmé par le masque chinois. Outre l’Europe, c’est tout l’Occident qui est laminé par cette atmosphère géopolitique soudaine. Les tentatives étatsuniennes en matière de détournement et d’accaparement vis-à-vis de l’Allemagne en rajoutent vertement à ce climat de suspicion digne des années de guerre froide même si le pays de Merkel est aujourd’hui unifié.
De toute évidence, l’ogre d’Orient domine le monde non pas simplement parce que ce dernier attend de son expérience historique dans le cadre de la pandémie en cours, de sa maîtrise technologique et de sa bienveillance, etc. mais parce qu’à cause de lui des malaises et conflits latents surgissent tout seuls. Elle a à peine frôlé le levier pour que ce décor soit planté durablement. Car cette crise n’est certainement pas une qui sera gommée de la mémoire collective de l’histoire.
En attendant, cette règle juridique est rageusement évidente : « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ». Le préjudice est important même si les demi-silences des politiques et des médias résonnent au cœur de l’actualité. Tout cela n’est évidemment pas rien. En Afrique, des questions de fond commencent à se poser. Ce continent entre dans un univers de questionnements géostratégiques qui ne feront qu’accroître sa conscience d’être au monde. Il lui reviendra de libérer ses proches énergies pour ouvrir une nouvelle page de l’histoire.
Zachée Betche